27 avril 2010

Goldman Sachs communique les emails de "Fabulous Fab"

Les emails échangés par Fabrice Tourre et sa petite amie sont ceux d'un couple très amoureux.
Mais le trader français de Goldman Sachs y a également décrit la chute annoncée des crédits "subprime" et le système qu'il a imaginé pour en tirer profit. L'un et l'autre étaient loin de se douter que trois ans plus tard, leurs courriers intimes échangés via la messagerie de Fabrice Tourre à Goldman Sachs deviendraient une pièce de l'une des plus grosses enquêtes ouvertes après la crise financière.

La correspondance de Fabrice Tourre et de Marine Serres fait apparaître le Français comme un jeune et brillant trader qui a vu venir la crise des subprimes tout en continuant à vendre à tour de bras des produits toxiques adossés à des crédits immobiliers à risques, à tel point qu'il pouvait aller jusqu'à les vendre à "la veuve et l'orphelin".
Mais le trader, qui est la seule personne physique visée par l'enquête pour fraude ouverte à l'encontre de la banque par la Securities and Exchange Commission (SEC), semble également avoir été traversé par des doutes sur le sens éthique de son travail.
"De toute façon, je ne me sens pas coupable à propos de cela, le véritable objectif de mon travail c'est de rendre les marchés de capitaux plus efficaces et au final, de fournir au consommateur américain des moyens plus efficaces d'avoir accès au crédit et de se financer, donc il existe une justification humble, noble et éthique à mon travail ;) c'est étonnant comme je me convaincs moi-même", dit Fabrice Tourre dans un email à Marine Serres écrit en janvier 2007 dans un mélange de français et d'anglais.
Cette partie du message exprimant les doutes du trader sur son travail intervient à la suite d'un autre passage qui a été utilisé par la SEC, le gendarme de la Bourse américaine, dans sa plainte déposée à la mi-avril. (voir )
"MONSTRUOSITÉS"
Fabrice Tourre s'y présente sous le surnom de "Fabulous Fab" et explique "être au milieu de toutes ces opérations complexes, exotiques, à haut effet de levier qu'il a créées sans forcément comprendre toutes les implications de ces monstruosités".
La SEC n'a pas incorporé dans sa plainte le passage où le trader exprimait des doutes.
Goldman Sachs a publié les emails de son employé dans le courant du week-end à l'approche de son audition prévue mardi devant une commission du Sénat américain. Le directeur général de la banque d'investissement, Lloyd Blankfein, ainsi que Fabrice Tourre devront répondre aux questions des sénateurs, de même que plusieurs autres dirigeants anciens et actuels.
La correspondance du trader montre qu'il n'était pas le seul à Goldman Sachs à être au fait de la chute annoncée du marché des subprimes.
"Selon Sparks, ce marché est totalement mort et les pauvres petits emprunteurs subprime (ne) vont pas faire de vieux os!!!", écrit-il dans un email daté du 7 mars 2007, faisant référence à Daniel Sparks, ancien directeur du département crédit immobilier de Goldman Sachs. Ce dernier doit témoigner mardi devant la commission parlementaire.
Fabrice Tourre raconte également comment il réussissait à vendre des CDO (collateralized debt obligations), produits au coeur de l'enquête pour fraude de la SEC.
Celle-ci accuse Goldman Sachs d'avoir fraudé en cachant des informations essentielles aux investisseurs dans le cadre de la vente de CDO "Abacus".
"Je viens juste d'arriver au pays de tes clients préférés (ndlr: la Belgique)!!! Je viens d'ailleurs de vendre quelques bonds abacus à des veuves et orphelins que j'ai croisés dans l'aéroport, décidemment ces Belges adorent les cdo2 abs synthétiques", écrit Fabrice Tourre en juin 2007.
"MAUVAIS RÊVE"
Un peu plus tôt en 2007, il écrivait à un ami qu'il craignait que le produit dont il a participé à la mise au point ne s'effondre.
"C'est bizarre, j'ai l'impression de venir chaque jour au taf et chaque (jour) je vis le même calvaire - un peu comme dans un mauvais rêve qui se répète", écrit Fabrice Tourre.
"En gros, je trade un produit qui valait 100 dollars il y a un mois et qui n'en vaut plus que 93 dollars et qui perd en moyenne 25 cents par jour (...) Présenté comme ça, ça n'a pas l'air énorme, mais quand tu penses qu'on achète et qu'on vend ce truc sur des montants nominaux de plusieurs milliards, ça commence à faire beaucoup de sous."
Le trader ajoute:
"Quand je pense que c'est un peu moi qui ait participé à la création de ce produit (qui, soit dit en passant, est un pur produit de masturbation intellectuelle, le genre de truc que tu inventes en te disant: "et si on créait un 'machin' qui ne sert absolument à rien, qui est complètement conceptuel et hautement théorique et que personne ne sait pricer?") ça fait mal au coeur de voir que ça implose en vol... C'est un peu comme Frankenstein se retournant contre son inventeur ;)."
Le trader, qui avait 28 ans lorsqu'il a écrit ces emails, s'étonne du rôle important qui lui a été confié dans la société à son âge.
"(...) Je suis maintenant un 'dinosaure' dans ce business (la durée moyenne d'un employé dans ma boîte c'est à peu près 2-3 ans), les gens me demandent plein de conseils de carrière (...). J'ai l'impression de radoter tout juste après mon 28e anniv!!! Ben, encore deux ans de boulot et c'est décidé, je prends ma retraite."
(Gwénaelle Barzic pour le service français, édité par Dominique Rodriguez)
reuters
 

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