8 avril 2010

Pesticides : la culture du risque

Recensant les maladies contractées par les agriculteurs, Mutualité agricole et experts mettent en garde contre les phytosanitaires.


Combinaison verte, masque filtrant, lunettes de protection, gants de latex… Très loin des clichés du paysan en harmonie avec la nature, certains agriculteurs ont des allures de cosmonautes lorsqu’ils préparent la «bouillie» réservée au traitement de leurs champs. C’est pourtant la tenue réglementaire pour manipuler les phytosanitaires, nom officiel des pesticides.
Soucieux pour sa santé, Charles Duby, vigneron de l’Hérault, fait preuve d’une rigueur exceptionnelle dans leur utilisation : «Quand on a choisi de faire un traitement, il faut l’anticiper, dit-il. On doit connaître la météo et préparer l’intervention, établir une fiche qui permette d’avoir le déroulé des opérations, le produit utilisé, le matériel utilisé et l’opérateur.» Une véritable exception au sein de la profession. Car même si la réglementation impose aux agriculteurs le port des EPI (équipement de protection individuelle), dans les faits, la plupart ne se protègent pas. Traitement réalisé en short, avec coulée d’insecticide dans le dos, buses de pulvérisation débouchées à la main, corps couverts de «poudre bleue» après épandage… Des pratiques dangereuses et datées, encore d’actualité dans les campagnes. Même si la toxicité de ces substances pour l’homme ne fait plus aucun doute.
«Pas un vrai mec». Pourquoi ces réticences ? Question de confort, déjà. Etouffante, la combinaison de protection devient rapidement insupportable lorsqu’il s’agit de travailler dans les vignes du Sud-Ouest par 25°C. «Je vous mets au défi de la porter huit heures d’affilée», lance Charles Duby. Le vigneron ne la revêt que lorsqu’il pense que le risque est présent : lors de la préparation du mélange, du remplissage de la cuve, etc. Dans ce milieu très pudique, on parle peu des questions de santé. On stigmatise parfois ceux qui s’en soucient : «Quand on porte une combi, on n’est pas un vrai mec aux yeux des anciennes générations», explique Gautier Bodivit, du Syndicat national des cadres d’entreprises agricoles (SNCEA). Sans compter les anciens qui pensent que c’est «trop tard» pour eux. Ou ceux qui craignent de donner une mauvaise image de leurs cultures.
Une prise de conscience commence cependant à émerger. Le 23 mars, la Mutualité sociale agricole (MSA) a ainsi présenté le bilan de son observatoire des risques liés aux phytosanitaires pour la santé des agriculteurs. Irritations cutanées, nausées, céphalées, douleurs digestives… 1 067 cas d’intoxication aiguë imputables aux pesticides ont été répertoriés par la caisse mutuelle depuis 1997. Une trentaine d’exploitants et de salariés agricoles ont même obtenu la reconnaissance des pathologies chroniques dont ils souffrent (cancers, maladie de Parkinson, troubles neurologiques…) comme maladies professionnelles.
Atteint depuis neuf ans par la maladie de Parkinson, Gilbert Vendée a été le premier à obtenir cette reconnaissance en France. Son cas pourrait faire jurisprudence. Diagnostiqué en 2002 après avoir pulvérisé des pesticides toute sa vie, ce salarié agricole se lance alors dans un véritable parcours du combattant. Il saisit la MSA du Cher mais essuie un refus. Le lien entre maladie de Parkinson et le pesticide n’est alors pas établi. Gilbert Vendée ne se décourage pas et se tourne, avec son avocat, vers le Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) d’Orléans. Puis saisit le tribunal des affaires de sécurité sociale (Tass), la CRRMP de Clermont-Ferrand. Et enfin, à nouveau, le Tass… Il obtiendra en 2006 que son mal soit reconnu comme maladie professionnelle. «Je ne peux pas dire qu’il n’y a pas eu de moment de découragement, avoue-t-il. Mais j’étais convaincu que ça pouvait fonctionner.»
Soupçons. A l’époque déjà, plusieurs chercheurs avancent un lien possible entre usage de pesticides et maladie de Parkinson. Depuis, d’autres études sont venues appuyer cette hypothèse. Aux Etats-Unis, l’équipe du Dr Costello à Berkeley a conclu en 2009 à une hausse de 75% du risque de développer la maladie de Parkinson chez les personnes exposées à moins de 500 mètres à deux produits : le manèbe et le paraquat (herbicide). En France, l’équipe du professeur Elbaz de l’Inserm a avancé, l’année dernière dans The Annals of Neurology, une multiplication du risque par deux chez les personnes exposées notamment aux insecticides de type organochloré.
Mais, «entre Parkinson ou cancer et phytosanitaires, aucun lien de cause à effet n’a été prouvé», selon le Dr Dupupet, médecin responsable des risques chimiques à la MSA. Il assure que ces études ne décrivent qu’une «incidence plus importante de la maladie» dans les populations exposées aux pesticides. «Les études montrent que la population agricole présente moins de cancer que la population générale», confie-t-il. Avant d’admettre que ce n’est pas le cas pour «certains cancers : sang, cerveau, prostate, peau, ou estomac».
Les résultats obtenus en 2009 par Bertrand Nadel, du Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, en attestent. L’étude décrit l’existence de précurseurs cellulaires de lymphomes bien plus fréquents chez les agriculteurs au contact de pesticides que dans le reste de la population. Autant de soupçons qui rendent de plus en plus crédibles les cosmonautes des champs qui, comme Charles Duby, passent à l’agriculture raisonnée.

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