6 septembre 2009

La taxe carbone, une réussite à Boulder, petite ville du Colorado

Pendant qu'en France, l'instauration d'une taxe carbone suscite de virulents débats, la municipalité de Boulder, dans le Colorado, vient tranquillement de doubler le montant de la sienne. Au coeur d'un pays peu sensible à l'écologie et d'une nation allergique à l'impôt, cette ville de 100 000 habitants, nichée au pied des montagnes Rocheuses, a été la première au monde à mettre en oeuvre, en 2007, une " contribution climat-énergie " locale.
Plus étonnant, cette décision n'a pas été imposée par quelques élus, mais adoptée par l'ensemble de la population. " La création d'une taxe doit être portée par des citoyens et soumise au suffrage universel par le conseil municipal, explique l'adjointe au maire Crystal Gray. La taxe carbone a été approuvée à 60 %. Toutes les grandes décisions à Boulder ont été impulsées par la communauté. "
Et dans ce décor de vieilles maisons et de petits bâtiments en briques, qui fête cette année ses 150 ans d'existence depuis la ruée vers l'or de 1859, vit une communauté un peu particulière.
Boulder incarne de longue date tout ce que haïssent élus républicains et journaux conservateurs. Cette ville universitaire héberge des laboratoires fédéraux de recherches atmosphériques et la plus grande concentration au monde de spécialistes du climat. On y croise de nombreux cyclistes, des piétons pieds nus, des hippies tardifs. Sans compter les sportifs et amoureux de la nature venus profiter du formidable terrain de jeu des Rocheuses.
Contrairement à l'Etat fédéral, Boulder a adhéré au protocole de Kyoto, qui lui impose de faire chuter de 20 % ses émissions de CO2 d'ici à 2012. Ici, la consommation d'électricité, produite par des centrales à charbon et au gaz, génère l'essentiel des émissions. La taxe carbone est donc calculée au prorata de la facture d'électricité et prélevée par l'opérateur XCel Energy, qui la reverse à la ville.
Résidences, commerces, industries : tous les abonnés payent. Seule échappatoire : " Si le consommateur demande à recevoir une part d'électricité issue de sources renouvelables, un peu plus chère à l'achat, il ne paie pas de taxe sur cette énergie verte ", précise Jonathan Koehn, responsable de l'environnement à la ville. Le coût moyen s'élevait jusqu'à maintenant à 16 dollars par an pour un ménage, 45 dollars pour une entreprise. Il va falloir doubler la mise.
" La taxe carbone a pour but de créer une source de financement pérenne pour notre plan climat. Pas de faire chuter brutalement la consommation d'électricité ", ajoute M. Koehn. Depuis sa création, la taxe a rapporté près de 1 million de dollars chaque année. La municipalité a mené des audits énergétiques dans des centaines de maisons et de commerces, remplacé des milliers d'ampoules par des modèles basse consommation, financé des études et des campagnes d'éducation, des prêts et des subventions qui ont aidé à générer des dizaines de millions de dollars d'investissement privé dans les économies d'énergie et les installations solaires.
Cela n'a pas suffi. " En 2008, un an seulement après la mise en place du plan climat et de la taxe, nos émissions de CO2 ont baissé pour la première fois après des décennies de forte croissance, explique M. Koehn. Mais nous nous sommes aperçus que nous n'atteindrions pas nos objectifs en 2012. "
Inacceptable, pour les éco-citoyens de Boulder. Réunis au sein d'un réseau de militants, le Climate Action Network, ces bons samaritains ont poussé la municipalité à doubler la taxe carbone pour disposer de 2 millions de dollars par an, et à passer de l'éducation simple à l'incitation forte. " Le plan climat n'est pas assez agressif, résume Pat Shanks, responsable de l'organisation Plan Boulder, l'un des piliers de ce réseau. Le secteur commercial n'a pas fait d'efforts, alors qu'il est responsable de la majorité des émissions. Même à Boulder, l'économie est tenue par des Républicains, habitués à nier le changement climatique. "
La chambre de commerce avait pourtant fini par soutenir la taxe carbone, après huit mois de discussions. Mais à condition que le plan climat se borne au volontariat. " Le nombre de participations volontaires n'a pas été très élevé, reconnaît Dan Powers, à la chambre de commerce. Beaucoup d'entrepreneurs ne voient qu'à court terme et menacent de s'installer ailleurs si on leur impose des règles contraignantes. "
Des prêts bonifiés
L'heure de vérité pourrait bientôt sonner. Grâce à ses nouvelles ressources, Boulder veut créer vingt brigades de techniciens chargés de passer dans tous les bâtiments de la ville pour délivrer un audit énergétique, effectuer sans frais les premiers aménagements et faire remplir les demandes d'aides pour les travaux plus lourds. Dans le même temps, la ville prépare les règles qui contraindront bientôt tous les propriétaires à respecter d'exigeantes normes énergétiques.
Elle vient d'inventer pour les y aider, avec l'aide du comté, un ingénieux instrument financier : 40 millions de dollars de prêts bonifiés accordés pour tous travaux d'isolation ou d'équipement en énergies renouvelables, mais attachés à la propriété elle-même et non à l'emprunteur.
" Des milliers de maisons pourraient gagner 25 % de consommation énergétique au prix de quelques milliers de dollars, mais beaucoup de gens ne peuvent pas emprunter, estime Will Toor, administrateur du comté de Boulder. Ce système a l'avantage de ne pas les endetter. Si on prouve que ça marche, cette solution pourrait être généralisée dans le pays. "
Boulder, creuset de l'Amérique de demain ? " Notre ambition est de créer des boîtes à outils qui pourront servir à d'autres villes ", confirme Jonathan Koehn. Déjà, alors que la Maison Blanche se débat avec la création d'un marché des droits d'émissions de carbone, Washington a l'oeil sur Boulder : l'ancien maire de la ville, Shaun McGrath, a rejoint l'équipe de Barack Obama.

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