6 novembre 2009

Quand les sondeurs menaient grand train à l'Elysée

Le grand nettoyage. Pris en faute par la Cour des comptes il y a près de quatre mois sur ses manies en matière de sondages, la présidence de la République a décidé de rendre publique le nombre et les montants des enquêtes d'opinion payées en 2008 et 2009. Les documents que Libération.fr publie en exclusivité, sont présentés aujourd'hui dans un rapport du député PS Jean Launay en commission élargie à l'Assemblée nationale.
De gros budgets sondages... à la baisse
Les deux listes détaillent la répartition des budgets «études et sondages» de la présidence de la République: 3,282 millions d'euros en tout pour 2008 et près de 1,989 million prévus pour 2009 (1,724 million déjà dépensés au 29 octobre).
Trois acteurs se partagent le gâteau: le conseiller de Nicolas Sarkozy, Patrick Buisson, via ses cabinets de conseil Publifact et Publiopinion (1,474 million en 2008 et 963 520 euros prévus pour 2009); l'institut de sondages Ipsos (889 824 euros en 2008 et 358 963 euros pour 2009) et un autre cabinet de conseil, GiacomettiPéron, de l'ex-dirigeant d'Ipsos, Pierre Giacometti, aujourd'hui conseiller auprès du président de la République (723 580 euros en 2008, 665 574 euros prévus en 2009).
Patrick Buisson et le chouchou Opinion Way
Le plus gourmand, c'était lui: Patrick Buisson, conseiller opinion de Nicolas Sarkozy. Désormais patron de la chaîne Histoire, filiale de TF1, l'homme est un ancien directeur du journal d'extrême-droite Minute, passé ensuite par Valeurs actuelles et LCI. Son principal fournisseur: l'institut Opinion Way. Près d'1,1 million d'euros pour 110 études facturées en 2008 à l'Elysée (24 autres études vendues près de 243 000 euros concernaient des sondages Ifop, BVA, CSA et Isama).
Depuis juillet, les dirigeants d'Opinion Way ne cessent de répéter qu'ils ont vendu l'an passé pour environ 190.000 euros d'études au cabinet de Patrick Buisson. Par conséquent, en 2008, rien que sur les sondages achetés à Opinion Way, Publifact a réalisé un bénéfice de près de 910 000 euros, soit une marge de 83%... Sollicité par Libération, Patrick Buisson a refusé de répondre pour justifier de ces sommes.
Une gratification difficile à justifier surtout qu'en juillet, la Cour des comptes a mis en doute la plus-value apportée par ce dernier. Les magistrats avaient révélé que les 41 sondages Opinion Way de type Politoscope facturés 392 288 euros par Publifact à l'Elysée ne faisaient apparaître «aucune différence» avec le baromètre du même nom publié par LCI et Le Figaro.
Pris le doigt dans le pot de confiture, l'Elysée assure avoir arrangé les choses. La liste 2009 montre que Patrick Buisson a arrêté de vendre des Politoscopes (à 9568 euros pièce) depuis le mois de mars. Selon Christian Frémont, directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, depuis juillet, Patrick Buisson ne touche plus que 10 000 euros nets par mois pour ses prestations de conseil et ne s'occupe plus des sondages, «à sa demande».
Cette fonction relève désormais du directeur de la stratégie au Château, l'ex-publicitaire Jean-Michel Goudard. Reste que selon la liste 2009, Buisson, via sa nouvelle société Publiopinion, a continué a vendre à l'Elysée une dizaine de «baromètres» jusqu'à début septembre et vendus entre 9568 et 11 960 euros chacun.
Le gros lot d'IPSOS
L'autre larron à se tailler la plus grosse part du gâteau élyséen est l'institut Ipsos: 889 824 euros reçus en 2008 pour seulement 15 études, 357 963 euros pour 11 enquêtes jusqu'en juillet 2009. Loin derrière, on retrouve CSA (9 études pour un total de 56 810 euros), TNS-Sofrès (4 études pour 38 272 euros) et Ifop (4 études pour 9448 euros). Pour Ipsos, des enquêtes «baromètre confidentiel – image et action du Président» ont été vendues en moyenne 70 564 euros pièce pour un record à 81 328 euros. Des prix jugés astronomiques par le milieu.
D'autant que l'intitulé ressemble fortement au baromètre Ipsos-Le Point «Image de l'action du Président de la République», publié chaque mois. «Cela n'a absolument rien à voir, défend Jean-François Doridot, directeur général d'Ipsos. Pour Le Point, il s'agit d'une seule question sur le Président de la République. Pour l'Elysée, les questionnaires sont beaucoup plus longs, se déclinent sur une vingtaine ou une trentaine de domaines différents et nous apportons ensuite une synthèse et toute une série d'évolutions d'un mois à l'autre.»
Depuis le printemps, Ipsos réalise cette enquête dans le cadre du «baromètre de l'exécutif» commandé par le Service d'information du gouvernement (SIG). Un des sept marchés attribués en avril par cet organisme dépendant de Matignon et disposant, depuis 2009, d'un budget conséquent: 3,9 millions d'euros pour «analyse de l'opinion et des médias». Coïncidence ou pas, ces sept marchés ont été remportés par les mêmes instituts qui travaillaient en 2008 avec l'Elysée.
Les chers conseils de Giacometti
Troisième gagnant de l'affaire: l'ex-directeur d'Ipsos, Pierre Giacometti. Via sa société de conseil GiacomettiPéron, il a empoché près de 724 000 euros en 2008 et touché au total 665 974 euros pour des «activités de conseil» et de «stratégie politique». Le «périmètre» de son contrat ayant été revu à la baisse en mars pour des «raisons confidentielles», sa société touche désormais 43500 euros nets par mois.
L'ex-sondeur se défend d'avoir pu orienter les choix en sondage de l'Elysée vers ses anciens collègues d'Ipsos: «Il peut m'arriver de donner mon avis (...) mais je ne suis pas en lien direct avec les instituts, explique Pierre Giacometti. Je ne fais pas de recommandations régulières et fréquentes d'Ipsos à l'Elysée.»
Des sondages dans tous les sens...
Outre toute une floppée de «baromètres» (sur les «déplacements et initiatives du Président» ou sur «la confiance et l'actualité»), on retrouve dans ces listings toute une série de sondages divers commandés sans appels d'offres: «les déçus de Nicolas Sarkozy» (9568 euros), «la création d'une nouvelle promotion dans l'ordre de la légion d'honneur» (4784 euros), «la suppression du jour férié du 8 mai» (2392 euros), «l'observation d'une minute de silence dans les établissements scolaires en hommage au dernier poilu» (7176 euros).
Au vu des thèmes de plusieurs d'entre eux – «le climat politique en Ile-de-France» (15 548 euros) ou «le premier tour des élections municipales» (11 960 euros)–, on peut s'interroger sur la pertinence des commandes par le biais de l'Elysée et non du SIG.
Pour preuve, depuis 2009, ce type de sondages n'a plus lieu au Château. Avouant ces «anomalies», l'Elysée a lancé mi-octobre un appel d'offre pour trois «lots» et des enquêtes concernant exclusivement la mesure de «l'action de la présidence de la République».
Toujours pas de commission d'enquête
«Ce n'est pas tant que l'Elysée commande des sondages, a expliqué, sur LCI, Didier Migaud, président (PS) de la commission des finances, c'est tout le processus de fabrication de l'opinion, notamment en certaines périodes tout à fait particulières, juste avant les élections» qui pose problème. Donnant quitus à l'Elysée pour faire preuve de transparence, le député (PS) Jean Launay, rapporteur spécial de la mission Pouvoirs publics, compte bien «demander au gouvernement si ces dépenses ne sont pas reportées sur le budget du SIG».
Depuis juillet, le groupe socialiste à l'Assemblée nationale demande la convocation d'une commission d'enquête parlementaire sur le sujet. Depuis la dernière réforme constitutionnelle, l'opposition peut demander, une fois par session ordinaire, la mise en place d'une telle commission. Pour s'y opposer, la majorité doit réunir 3/5e des députés (contre une majorité simple avant la réforme), ce dont ne disposent pas l'UMP et le Nouveau Centre.
Problème: pour lancer la procédure, le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer (UMP) doit s'assurer auprès de la Garde des Sceaux qu'il n'y a pas de poursuites judiciaires en cours sur le sujet. Or, selon le Canard Enchaîné, son courrier, envoyée le 5 août, est toujours sans réponse. Le temps sans doute que l'Elysée et Patrick Buisson aient mis de l'ordre dans leurs comptes...

1 commentaire:

David C. a dit…

Aujourd’hui, François Hollande trouve curieux le refus de l’exécutif d’une telle commission d’enquête.

Ce que je trouve curieux !

En pleine accélération du processus d’effondrement du système financier international, je trouve curieux qu’aucun parlementaire demande une commission d’enquête parlementaire sur la crise financière (type Commission Pécora de 1932) pour exposer aux yeux des citoyens la responsabilité des banquiers dans la crise financière.

David C.
david.cabas.over-blog.fr