À Paris, dans des appartements cossus des avenues Georges Mandel et Henri Martin, entre 1994 et 1995, deux intermédiaires libanais imposés par le pouvoir balladurien exercèrent d’amicales pressions pour capter des centaines de millions sur le contrat d’armement des sous-marins signé avec le Pakistan le 21 septembre 1994. Des éléments inédits recueillis par «Libération» (disponibles en version intégrale en kiosque ou sur notre zone payante) tendent à montrer que ces opérations suspectes s’inscrivaient dans le financement de la campagne présidentielle d’Édouard Balladur de 1995, alors qu’à cette époque Nicolas Sarkozy en était le porte-parole, et surtout qu’il dirigeait le ministère du Budget du gouvernement Balladur. La dimension pécuniaire des exportations de matériels de guerre étant soumis à l’agrément de ce ministère.
Car en plus des émoluments permettant la conclusion de ce contrat, en achetant les bonnes grâces des militaires pakistanais à hauteur de 338 millions de Francs, le pouvoir politique Français a exigé au dernier moment un supplément de 216 millions de Francs de commissions, au profit de ces deux affairistes basés dans le XVI° arrondissement de Paris, Ziad Takieddine et Abdulrahmane El Assir. C’est ce que détaille la confrontation de plusieurs documents. Notamment le contrat d’armement lui-même, de 197 pages – dont la justice réclame en vain un double, mais dont «Libération» a obtenu une copie intégrale – les divers accords entre intermédiaires qui l’ont accompagné, ainsi que les archives d’un des hommes clés côté pakistanais, que nous avons récemment recueillies à Karachi.
À la lumière de ces pièces, d’ores et déjà nous pouvons reconstituer le film de l’affaire. Au printemps 1994, la Direction des constructions navales (DCN) – placée sous la tutelle directe du ministère de la Défense – a appris qu’elle remporterait au Pakistan ce contrat de 5,41 milliards de Francs et elle s’est engagée à verser les 338 millions de Francs de commissions aux intermédiaires locaux lui ayant permis de l’emporter. Mais ce réseau de corruption, mis en place par une officine parisienne, la Sofma, a cessé de payer ses agents pakistanais (militaires, fonctionnaires, membres des services de sécurité…) dans le courant de l’année 2001, quelques mois avant l’attentat du 8 mai 2002 – comme nous le révélons aujourd’hui dans nos enquêtes. Pour des motifs mystérieux.
Sans que cet arrêt des paiements ne soit lié à la nouvelle législation du 28 septembre 2000 imposée par l’OCDE et interdisant de payer des intermédiaires étrangers. En outre, parallèlement à ce budget, en 1995, les cadres de la DCN ont reçu du pouvoir politique l’ordre de débloquer une deuxième enveloppe de commissions de 216 millions de Francs à destination d’une société offshore panaméenne inconnue de tous, Mercor Finance. Structure discrète gérée depuis la Suisse pour les deux affairistes libanais, Ziad Takieddine et Abdulrahmane El Assir, que personne ne semble avoir croisé à l’époque au Pakistan.
Dans la même séquence de temps, notre enquête nous permet d’oberver de curieuses opérations dans le financement de la campagne d’Édouard Balladur. Des relevés bancaires du compte de campagne d’Édouard Balladur que nous avons consultés, ouvert dans une agence du Crédit du Nord au 6 boulevard Haussmann à Paris, mentionnent un dépôt d’argent liquide de 10 millions de Francs, effectué en une seule fois le 26 avril 1995.
lbération.fr
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