Qui sont les « marchés financiers » ?
Derrière ce terme générique, on trouve de l’argent et des hommes. L’argent, « c’est d’abord l’épargne de chacun », résume un gérant de hedge funds, ces fonds financiers désignés comme un des responsables de la spéculation contre l’euro. « Les marchés collectent l’argent mis de côté par chaque particulier pour sa retraite, pour son assurance-vie, pour sa santé », poursuit-il.Les fonds de pension gèrent ainsi les centaines de milliards de dollars épargnés par les salariés américains qui n’ont pas de régime de retraite par répartition comme en France. Les compagnies d’assurance collectent les primes de leurs adhérents et les placent sur les marchés en attendant de les utiliser pour des remboursements de sinistres. Les banques apportent aux marchés leurs fonds propres, les dépôts de leurs clients et l’argent qu’ils empruntent avec un effet de levier.
Tout cet argent collecté, par l’épargne ou l’emprunt, va s’offrir sur le marché moyennant intérêts. C’est là qu’interviennent les individus ; les marchés reposent avant tout sur les personnes qui les gèrent. « Toute l’analyse moderne des marchés financiers, développée notamment par l’économiste Jean Tirole, tient dans la délégation entre le “principal”, vous et moi épargnant, et “l’agent”, celui qui va gérer cet argent.
Le problème est que l’on va avoir une cascade de délégations successives entre l’épargnant et l’agent final. Le premier n’a aucune idée où finalement son argent a été placé. Plus on avance dans la chaîne de délégations, plus on a affaire à des gens qui ont une stratégie risquée », explique Benjamin Carton au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii). L’épargnant demande 3 % de rendement, le dernier agent, par exemple un trader sur le marché des matières premières, se verra promettre un bonus optimal par son employeur s’il gagne 15 % avec l’argent de l’épargnant.
« Le but poursuivi par le financier peut s’éloigner considérablement de la volonté de l’épargnant », résume Benjamin Carton. Autrement dit, dans un produit courant d’assurance-vie, il peut très bien y avoir une part qui a été prêtée à l’État grec. Comme mercredi, une Sicav pouvait comprendre une partie de produits « subprimes ».
À quoi servent les marchés ?
L’argent collecté sur les marchés sert à l’investissement des entreprises, aux projets des ménages et à boucler les fins de mois des États. « Les marchés sont là quand les sociétés veulent augmenter leur capital ou quand les entreprises et les États souhaitent se financer », explique un banquier parisien. Avant la crise financière de 2008, les liquidités sur les marchés étaient nombreuses et les risques sous-estimés. Les investisseurs privés pouvaient financer leurs achats immobiliers ou leurs extensions de capacités productives à des taux très avantageux.Avec la crise, la défiance s’est installée sur les marchés. Le crédit menaçait de se raréfier. Du coup, l’argent est devenu cher. « En 2009, les entreprises pour emprunter à dix ans devaient offrir de 5 à 7 % de rendement », explique le gérant de hedge funds. En comparaison, l’État français, dont on suppose qu’il ne peut pas faire faillite, emprunte sur la même période à 3,2 % et à 0,8 % au jour le jour. C’est peu pour les marchés qui demandaient, jusqu’à la crise financière, des rendements sur le long terme de 4 à 6 %. »
Qu’est ce que la crise financière a changé ?
Depuis 2009, les banques centrales européenne et américaine ont mis à disposition des établissements financiers des centaines de milliards d’euros de liquidités. Elles voulaient ainsi lutter contre le gel du crédit et inciter les établissements financiers à relancer par le crédit la machine économique. Faute, en partie, de candidats à l’emprunt, les fonds disponibles à des taux très avantageux ont été employés par les banques pour jouer sur les marchés. Ce qui explique les bulles qui se forment, notamment sur les marchés des pays émergents. « Les banques centrales occidentales ont soufflé dans un gros tuyau, sans savoir où allait l’air », explique Benjamin Carton.Depuis le début de l’année 2010, les marchés découvrent qu’un État européen, la Grèce, peut ne pas être en mesure d’honorer ses échéances de remboursement. « Le risque d’État était nul jusqu’à maintenant. Du coup, les dettes d’État ne rapportaient pas grand-chose. La crise grecque est venue bousculer tout ça. La dette grecque aujourd’hui peut rapporter gros, mais elle est risquée », remarque le gérant de hedge funds.
Dans ce contexte, la moindre rumeur fait réagir les marchés. Mardi 4 mai, les Bourses chutaient sur une information, démentie, d’une aide financière que l’Espagne demanderait au Fonds monétaire international (FMI). « La moindre rumeur peut faire basculer un marché. L’important pour acheter un titre n’est pas la valeur que je lui donne, mais la valeur que les autres lui donneront. L’important n’est pas qu’une rumeur soit fondée, c’est que cette rumeur soit crue ou non par les autres, indique Benjamin Carton. C’est le principe du “concours de beauté” expliqué par l’économiste Keynes : je prime quelqu’un non selon mon goût personnel, mais selon le goût des autres que je suppose. »
Quelle est la part prise par la spéculation ?
Tout le monde la devine, mais personne n’arrive à la quantifier exactement. « Sur le marché parisien, le volume quotidien des transactions est d’environ quatre à cinq milliards d’euros. Quand on atteint les six ou sept milliards à une heure de la clôture, c’est qu’il y a des mouvements spéculatifs », souligne Yann Azuelos, responsable de la salle de marchés au sein de la société de gestion Meeschaert.Des hedges funds peuvent pratiquer, par exemple, des ventes à découvert : ils empruntent des titres pour les vendre (ce qui pousse les cours à la baisse) et les racheter moins cher quelques heures ou quelques jours plus tard. Mis au banc des accusés, il y a un an et demi, au plus fort de la crise financière, les hedge funds ne joueraient cependant qu’un rôle marginal dans cette crise, selon plusieurs opérateurs. « Ils sont traditionnellement plus présents sur les marchés actions et sur les devises, que sur les dettes souveraines », estime Marine Michel, analyste chez Montségur finance.
L’activisme de certains fonds spéculatifs serait néanmoins à l’origine de l’envolée des prix CDS (Crédit défault swaps), ces produits financiers qui fonctionnent comme une assurance contre le risque de défaut de paiement d’un émetteur, qu’il s’agisse d’une entreprise ou d’un État. L’augmentation du coût des CDS a ainsi contribué à la hausse des taux d’intérêt sur la dette grecque, qui ont grimpé jusqu’à 30 % la semaine dernière pour les emprunts à deux ans.
« Les spéculations ne créent pas des faiblesses, elles les révèlent, souligne de son côté Philippe Dessertine, directeur de l’Institut de haute finance. Aujourd’hui, l’affolement des marchés correspond à la prise de conscience que la Grèce pourrait ne pas pouvoir rembourser sa dette et que des pays comme l’Espagne et le Portugal sont potentiellement dans la même situation.
Sur les marchés, les principaux vendeurs des titres grecs sont des assureurs, des fonds souverains et des fonds de pension qui ne veulent pas de titres à risque. » D’où les messages insistants adressés ces derniers jours par les dirigeants français et allemands à leurs établissements bancaires, pour qu’ils maintiennent leurs engagements vis-à-vis de la Grèce.
Faut-il mettre en place de nouvelles règles ?
Plusieurs idées sont déjà sur la table, même si elles tardent à se mettre en œuvre. Une directive européenne prévoit, par exemple, de durcir la surveillance des agences de notation, à qui l’on reproche d’avoir mal anticipé les risques des États mais aussi d’accroître la volatilité des marchés en dégradant les notes au mauvais moment. Cette directive, entérinée il y a un an, doit entrer en vigueur en décembre, mais pourrait encore être renforcée.Lundi 3 mai, la chancelière allemande Angela Merkel a évoqué la création d’une agence de notation européenne. Les produits dérivés sur les dettes, comme les CDS, sont aussi dans le collimateur des autorités, qui souhaiteraient mettre en place des chambres de compensation afin de mieux encadrer ce marché. « Tout le monde se rend compte qu’il faut plus de transparence, mais la mise en place de mesures de régulation risque de prendre un peu de temps », observe Philippe de Vandière, analyste chez IG Markets.
Jean-Claude BOURBON et Pierre COCHEZ |
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