Alors que l'encadrement des bonus dans la finance se renforce un peu partout, des dispositifs permettant de contourner la réglementation commencent à apparaître aux Etats-Unis et outre-Manche. Objectif : permettre aux banquiers de toucher la plus grosse partie de leur rémunération sans attendre, et en cash.
Les banquiers n'ont jamais été aussi créatifs depuis que la politique se mêle de leurs rémunérations. Face à l'inflation de réglementation encadrant le versement des bonus, les banques redoublent d'inventivité pour garder leurs meilleurs éléments ou attirer ceux des concurrents. Problème : il n'est plus possible de payer des primes intégralement en cash, ni de garantir des bonus sur trois ans. Désormais, elles doivent privilégier le paiement en titres, étalé dans le temps, et le soumettre à des conditions de performances. Autant de mesures très impopulaires auprès de collaborateurs souvent mal habitués, qui, au terme d'une année 2009 exceptionnelle dans un certain nombre de métiers, estiment qu'ils ont contribué au redressement des banques et veulent leur part du gâteau… ou, plus prosaïquement, sont habitués à un certain train de vie et se trouvent pris en étau entre leurs investissements immobiliers et les frais de scolarité de leurs enfants.
« Je sais que c'est difficile à entendre pour l'homme de la rue », explique un chasseur de têtes new-yorkais interrogé récemment dans le « Wall Street Journal ». « Mais c'est vraiment difficile. Alors les banques essaient d'aider du mieux qu'elles peuvent. » Alors que s'est ouverte il y a quelques semaines la saison des bonus 2009, qui promet d'être un grand millésime, les banques, voire les banquiers eux-mêmes, ont donc inventé une palette de solutions permettant de s'accommoder aussi confortablement que possible des nouvelles règles du jeu.
Augmenter la part du salaire fixe pour réduire celle des bonus
C'est la solution la plus courante, qui s'est imposée très rapidement dans certaines grandes banques, européennes notamment chez Credit Suisse ou Barclays. Celles-ci l'ont même appliquée de façon rétroactive. En France, la Société Générale, qui a beaucoup recruté récemment dans sa banque d'affaires, aurait procédé de la même façon. « On a vu des salaires fixes carrément multipliés par deux dans certaines maisons, explique un recruteur. L'idée étant de montrer que le fixe n'est plus accessoire. » Ainsi, même en France, un banquier d'affaires senior se paie désormais de 250.000 à 300.000 euros en salaire fixe, au lieu de 100.000 à 150.000 euros auparavant. « Les hausses des salaires fixes ont été faramineuses et se font à tous les niveaux d'ancienneté, confirme un chasseur de têtes. Cela provoque des distorsions de concurrence importantes entre établissements. »
De fait, augmenter les salaires fixes présente de nombreux avantages, à commencer par le contournement de la taxe assise sur les bonus. Le régulateur britannique a plutôt bien accueilli ces initiatives, considérant qu'elles permettaient de réintégrer le risque dans une démarche de long terme. Mais il a indiqué veiller à ce que les augmentations des salaires fixes soient permanentes, sans quoi elles seraient considérées comme des bonus, et donc soumises à taxation.
Payer en actions bloquées, mais pendant quelques mois seulement
La banque respecte ainsi facialement les seuils de versement en titres, tout en permettant au salarié de toucher rapidement du cash. La banque américaine Bank of America Merrill Lynch, massivement aidée par l'Etat américain, a procédé ainsi cette année, y compris pour ses équipes françaises. Certains banquiers devraient donc recevoir dans les prochaines semaines des bonus payés partiellement en actions pouvant être converties en cash dès le mois d'août.
Les autres, moins chanceux, devraient toucher des actions bloquées sur trois ans - la période de référence généralement observée dans l'industrie -et conditionnées par leur performance sur la période. Citigroup a, de son côté, plafonné les bonus en cash à 100.000 dollars, mais a choisi de verser le solde (soit 1,7 milliard de dollars au total) en titres monétisables dès le printemps prochain. Ces mesures ont une portée symbolique forte pour les traders, pour qui la reconnaissance se mesure au moins autant par le montant du bonus que par la part de cash empochée immédiatement.
Monétiser ses actions bloquées avec des dérivés
Lorsqu'un trader touche une partie de sa rémunération en actions bloquées, il peut cependant en obtenir du cash en montant un dérivé avec un courtier comme contrepartie. Le trader touche tout de suite le montant de ses titres à la valeur du marché, avec une décote. Le courtier percevra, lui, un nombre de titres variable à l'échéance. « Plutôt que d'attendre trois ou cinq ans pour monétiser la partie actions du bonus, les banquiers préfèrent toucher l'argent tout de suite, même avec une décote, pour se sentir déliés et faire autre chose », explique un chasseur de têtes. Cette pratique, imaginée à l'origine pour optimiser fiscalement le patrimoine des traders, serait pour l'instant limitée aux Etats-Unis.
Accorder des facilités de crédit aux collaborateurs ayant des problèmes de trésorerie
Selon le « Wall Street Journal », Goldman Sachs ou Royal Bank of Scotland permettent à leurs collaborateurs d'emprunter de l'argent auprès d'elles lorsqu'ils doivent faire face à des échéances financières au plan personnel. Déjà courants dans les banques, ces prêts se sont multipliés ces derniers temps à Wall Street, notamment sous forme de prêts relais qui permettent aux employés de couvrir rapidement certains engagements quand ils n'ont pas le cash nécessaire à disposition. « A ux Etats-Unis, les traders dépensent leur bonus avant de l'avoir touché, explique un responsable de marché au sein d'une banque d'investissement française. Ils achètent un appartement à crédit six mois avant de toucher le bonus, avec un taux très élevé puisqu'ils tablent sur un remboursement très rapide, au moment du versement du bonus en cash. Cela devient problématique quand ils ne touchent pas le cash, car ils se retrouvent du jour au lendemain totalement surendettés. »
Ces prêts sont souvent octroyés à des conditions préférentielles, soit à des taux un peu inférieurs au marché, soit avec des garanties plus légères. Chez RBS, les traders peuvent emprunter de l'argent en utilisant leur rémunération différée comme garantie. Un véritable privilège, quand les banques sont par ailleurs accusées partout dans le monde de resserrer le robinet du crédit. UBS aurait aussi proposé à certains collaborateurs en difficulté de trésorerie de leur accorder des prêts. Goldman aurait fait de même, mais affirme pratiquer les taux du marché.
Faire racheter son bonus différé par une banque concurrente à l'occasion d'un transfert
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C'est la plus courante et la moins avouable des solutions. Les banques jurent leurs grands dieux que jamais elles ne se prêtent à ce genre de chantage, même pour débaucher une star, et pointent volontiers du doigt les « hedge funds ». Il n'empêche. Au printemps 2009, Credit Suisse a débauché au prix fort une partie des équipes de trading « haute fréquence » de la Société Générale alors que ceux-ci venaient de recevoir le premier tiers de leur confortable bonus 2009, et qu'ils étaient presque les seuls à en avoir touché cette année-là… Dans les faits, les réglementations peuvent difficilement interdire ce genre de pratiques, vieilles comme l'industrie. « Il est impossible de mettre fin à ce jeu-là, observe un spécialiste du recrutement. Il y aura toujours un nouvel entrant décidé à prendre des parts de marché en payant au prix fort. » CQFD.
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